Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/239

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reptile… Cependant il est toujours pour moi un être humain. Mais est-il un assassin ? Est-ce lui qui a tué ? » s’écria-t-elle en se tournant vers Ivan. — Aliocha comprit aussitôt qu’elle lui avait déjà posé cette question avant son arrivée, pour la centième fois peut-être, et qu’ils s’étaient querellés… — « Je suis allée voir Smerdiakov… C’est toi qui m’as persuadée qu’il est un parricide. Je t’ai cru ! »

Ivan eut un rire gêné. Aliocha tressaillit en entendant ce toi. Il ne soupçonnait pas de telles relations.

« Eh bien, en voilà assez, trancha Ivan. Je m’en vais. À demain. »

Il sortit, se dirigea vers l’escalier. Catherine Ivanovna saisit impérieusement les mains d’Aliocha.

« Suivez-le ! Renseignez-le ! Ne le laissez pas seul un instant. Il est fou. Vous ne savez pas qu’il est devenu fou ? Il a la fièvre chaude, le médecin me l’a dit. Allez, courez… »

Aliocha se précipita à la suite d’Ivan Fiodorovitch qui n’avait pas encore fait cinquante pas.

« Que veux-tu ? dit-il en se retournant vers Aliocha. Elle t’a dit de me suivre, parce que je suis fou. Je sais cela par cœur, ajouta-t-il avec irritation.

— Elle se trompe, bien sûr, mais elle a raison de prétendre que tu es malade. Je t’examinais tout à l’heure, tu as le visage défait, Ivan. »

Ivan marchait toujours, Aliocha le suivait.

« Sais-tu, Alexéi Fiodorovitch, comment on devient fou ? demanda Ivan d’un ton calme où perçait la curiosité.

— Non, je l’ignore, je pense qu’il y a bien des genres de folie.

— Peut-on s’apercevoir soi-même qu’on devient fou ?

— Je pense qu’on ne peut pas s’observer en pareil cas » répondit Aliocha surpris.

Ivan se tut un instant.

« Si tu veux causer avec moi, changeons de conversation, dit-il tout à coup.

— De peur de l’oublier, voici une lettre pour toi », dit timidement Aliocha en lui tendant la lettre de Lise.

Ils approchaient d’un réverbère. Ivan reconnut l’écriture.

« Ah ! c’est de ce diablotin ! »

Il eut un rire méchant et, sans la décacheter, la déchira en morceaux qui s’éparpillèrent au vent.

« Ça n’a pas encore seize ans et ça s’offre déjà, dit-il d’un ton méprisant.

— Comment s’offre-t-elle ? s’exclama Aliocha.