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Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/25

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Ainsi fut fait. Le prêtre enfourcha la jument, heureux de s’être dégagé, mais vaguement inquiet et se demandant s’il ne ferait pas bien d’informer le lendemain Fiodor Pavlovitch de cette curieuse affaire, « sinon il se fâchera en l’apprenant et me retirera sa faveur ». Le garde, après s’être gratté, retourna sans mot dire dans sa chambre ; Mitia prit place sur le banc pour attendre l’occasion, comme il disait. Une profonde angoisse l’étreignait, telle qu’un épais brouillard. Il songeait sans parvenir à rassembler ses idées. La chandelle brûlait, un grillon chantait, on étouffait dans la chambre surchauffée. Il se représenta soudain le jardin, l’entrée ; la porte de la maison de son père s’ouvrait mystérieusement et Grouchegnka accourait. Il se leva vivement.

« Tragédie ! » murmura-t-il en grinçant des dents.

Il s’approcha machinalement du dormeur et se mit à l’examiner. C’était un moujik efflanqué, encore jeune, aux cheveux bouclés, à la barbiche rousse, il portait une blouse d’indienne et un gilet noir, avec la chaîne d’une montre en argent au gousset. Mitia considérait cette physionomie avec une véritable haine ; les boucles surtout l’exaspéraient, Dieu sait pourquoi. Le plus humiliant, c’est que lui, Mitia, restait là devant cet homme avec son affaire urgente, à laquelle il avait tout sacrifié, à bout de forces, et ce fainéant, « dont dépend maintenant mon sort, ronfle comme si de rien n’était, comme s’il venait d’une autre planète ! » Mitia, perdant la tête, s’élança de nouveau pour réveiller l’ivrogne. Il y mit une sorte d’acharnement, le houspilla, alla jusqu’à le battre, mais au bout de cinq minutes, n’obtenant aucun résultat, il se rassit en proie à un désespoir impuissant.

« Sottise, sottise ! que tout cela est donc pitoyable ! » Il commençait à avoir la migraine : « Faut-il tout abandonner, m’en retourner ? » songeait-il. « Non, je resterai jusqu’au matin, exprès ! Pourquoi être venu ici ? Et je n’ai pas de quoi m’en retourner ; comment faire ? Oh ! que tout cela est donc absurde ! »

Cependant, son mal de tête augmentait. Il resta immobile et s’assoupit insensiblement, puis s’endormit assis. Au bout de deux heures, il fut réveillé par une douleur intolérable à la tête, ses tempes battaient. Il fut longtemps à revenir à lui, et à se rendre compte de ce qui se passait. Il comprit enfin que c’était un commencement d’asphyxie dû au charbon et qu’il aurait pu mourir. L’ivrogne ronflait toujours ; la chandelle avait coulé et menaçait de s’éteindre. Mitia poussa un cri et se précipita en chancelant chez le garde, qui fut bientôt