Aller au contenu

Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/273

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

comme s’il rougissait d’une telle parenté. Il finit par se déshabituer de ses enfants, qui lui écrivent de loin en loin, pour sa fête ou à Noël, des lettres de félicitations auxquelles il répond parfois. La physionomie de cet hôte inattendu était plutôt affable que débonnaire, prête aux amabilités suivant les circonstances. Il n’avait pas de montre, mais portait un lorgnon en écaille, fixé à un ruban noir. Le médius de sa main droite s’ornait d’une bague en or massif avec une opale bon marché. Ivan Fiodorovitch gardait le silence, résolu à ne pas entamer la conversation. Le visiteur attendait, comme un parasite qui, venant à l’heure du thé tenir compagnie au maître de la maison, le trouve absorbé dans ses réflexions, et garde le silence, prêt toutefois à un aimable entretien, pourvu que le maître l’engage. Tout à coup son visage devint soucieux.

« Écoute, dit-il à Ivan Fiodorovitch, excuse-moi, je veux seulement te faire souvenir que tu es allé chez Smerdiakov afin de te renseigner au sujet de Catherine Ivanovna, et que tu es parti sans rien savoir ; tu as sûrement oublié…

— Ah oui ! dit Ivan préoccupé, j’ai oublié… N’importe, d’ailleurs, remettons tout à demain. À propos, dit-il avec irritation au visiteur, c’est moi qui ai dû me rappeler cela tout à l’heure, car je me sentais angoissé à ce sujet. Suffit-il que tu aies surgi pour que je croie que cette suggestion me vient de toi ?

— Eh bien, ne le crois pas, dit le gentleman en souriant d’un air affable. La foi ne s’impose pas. D’ailleurs, dans ce domaine, les preuves même matérielles sont inefficaces. Thomas a cru, parce qu’il voulait croire, et non pour avoir vu le Christ ressuscité. Ainsi, les spirites… je les aime beaucoup… Imagine-toi qu’ils croient servir la foi, parce que le diable leur montre ses cornes de temps en temps. « C’est une preuve matérielle de l’existence de l’autre monde. » L’autre monde démontré matériellement ! En voilà une idée ! Enfin, cela prouverait l’existence du diable, mais non celle de Dieu. Je veux me mettre d’une société idéaliste, pour leur faire de l’opposition.

— Écoute, dit Ivan Fiodorovitch en se levant, je crois que j’ai le délire, raconte ce que tu veux, peu m’importe ! Tu ne m’exaspéreras pas comme alors. Seulement, j’ai honte… Je veux marcher dans la chambre… Parfois je cesse de te voir, de t’entendre, mais je devine toujours ce que tu veux dire, car c’est moi qui parle, et non pas toi ! Mais je ne sais pas si je dormais la dernière fois, ou si je t’ai vu en réalité. Je