Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/296

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rangs de fauteuils pour le jury. À gauche se trouvait la place de l’accusé et de son défenseur. Au milieu de la salle, près des juges, les pièces à conviction figuraient sur une table : la robe de soie blanche de Fiodor Pavlovitch, ensanglantée ; le pilon de cuivre, instrument présumé du crime ; la chemise et la redingote de Mitia, toute tachée vers la poche où il avait fourré son mouchoir ; ledit mouchoir, où le sang formait une croûte ; le pistolet chargé chez Perkhotine pour le suicide de Mitia et enlevé furtivement par Tryphon Borissytch, à Mokroïé ; l’enveloppe des trois mille roubles destinés à Grouchegnka, la faveur rose qui la ficelait, d’autres objets encore que j’ai oubliés. Plus loin, au fond de la salle, se tenait le public, mais devant la balustrade on avait disposé des fauteuils pour les témoins qui resteraient dans la salle après leur déposition. À dix heures, le tribunal composé du président, d’un assesseur et d’un juge de paix honoraire, fit son entrée. Le procureur arriva au même instant. Le président était robuste et ragot, le visage congestionné, une cinquantaine d’années, les cheveux grisonnants coupés court, et décoré. Le procureur parut à tout le monde étrangement pâle, le teint presque verdâtre, maigri pour ainsi dire subitement, car je l’avais vu l’avant-veille dans son état normal. Le président commença par demander à l’huissier si tous les jurés étaient présents… Mais il m’est impossible de continuer ainsi, certaines choses m’ayant échappé et surtout parce que, comme je l’ai déjà dit, le temps et la place me manqueraient pour un compte rendu intégral. Je sais seulement que la défense et l’accusation ne récusèrent qu’un petit nombre de jurés. Le jury se composait de quatre fonctionnaires, deux négociants, six petits-bourgeois et paysans de notre ville. Longtemps avant le procès, je me souviens qu’en société on se demandait, surtout les dames : « Est-il possible qu’une affaire à la psychologie aussi compliquée soit soumise à la décision de fonctionnaires et de croquants, qu’est-ce qu’ils y comprendront ? » Effectivement, les quatre fonctionnaires faisant partie du jury étaient de petites gens, déjà grisonnants, sauf un, peu connus dans notre société, ayant végété avec de chétifs appointements ; ils devaient avoir de vieilles femmes, impossibles à exhiber, et une ribambelle d’enfants, qui couraient peut-être nu-pieds ; les cartes charmaient leurs loisirs et ils n’avaient, bien entendu, jamais rien lu. Les deux hommes de négoce avaient l’air posé, mais étrangement taciturnes et immobiles ; l’un d’eux était rasé et habillé à l’européenne, l’autre, à la barbe grise, portait au cou une médaille. Rien à dire des