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Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/321

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— Il a une queue, Excellence, ce n’est pas conforme à la règle ! Le diable n’existe point ![1] Ne faites pas attention, c’est un diablotin sans importance, ajouta-t-il confidentiellement en cessant de rire ; il doit être quelque part ici, sous la table des pièces à conviction : où serait-il, sinon là ? Écoutez-moi ; je lui ai dit : « Je ne veux pas me taire », et il me parle de cataclysme géologique… et autres bêtises ! Mettez le monstre en liberté… il a chanté son hymne, car il a le cœur léger ! Comme une canaille ivre qui braille : Pour Piter est parti Vanka. Moi, pour deux secondes de joie, je donnerais un quatrillion de quatrillions. Vous ne me connaissez pas ! Oh ! que tout est bête parmi vous ! Eh bien ! Prenez-moi à sa place ! Je ne suis pas venu pour rien… Pourquoi tout ce qui existe est-il si bête ? »

Et il se remit à inspecter lentement la salle d’un air rêveur. L’émoi était général. Aliocha courait vers lui, mais l’huissier avait déjà saisi Ivan Fiodorovitch par le bras.

« Qu’est-ce encore ? » s’écria-t-il en fixant l’huissier.

Tout à coup il le saisit par les épaules et le renversa. Les gardes accoururent, on l’appréhenda, il se mit à hurler comme un forcené. Tandis qu’on l’emportait il criait des paroles incohérentes.

Ce fut un beau tumulte. Je ne me rappelle pas tout dans l’ordre, l’émotion m’empêchait de bien observer. Je sais seulement qu’une fois le calme rétabli l’huissier fut réprimandé, bien qu’il expliquât aux autorités que le témoin avait tout le temps paru dans son état normal, que le médecin l’avait examiné lors de sa légère indisposition, une heure auparavant ; jusqu’au moment de comparaître, il s’exprimait sensément, de sorte qu’on ne pouvait rien prévoir ; il insistait lui-même pour être entendu. Mais avant que l’émotion fût apaisée, une nouvelle scène se produisit ; Catherine Ivanovna eut une crise de nerfs. Elle gémissait et sanglotait bruyamment sans vouloir s’en aller, elle se débattait, suppliant qu’on la laissât dans la salle. Tout à coup, elle cria au président :

« J’ai encore quelque chose à dire, tout de suite… tout de suite !… Voici un papier, une lettre… prenez, lisez vite ! C’est la lettre du monstre que voici ! dit-elle en désignant Mitia. C’est lui qui a tué son père, vous allez voir, il m’écrit comment il le tuera ! L’autre est malade, il a la fièvre chaude depuis trois jours ! »

L’huissier prit le papier et le remit au président, Catherine

  1. En français dans le texte.