Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/322

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Ivanovna retomba sur sa chaise, cacha son visage, se mit à sangloter sans bruit, étouffant ses moindres gémissements, de peur qu’on ne la fît sortir. Le papier en question était la lettre écrite par Mitia au cabaret « À la Capitale », qu’Ivan considérait comme une preuve catégorique. Hélas ! ce fut l’effet qu’elle produisit ; sans cette lettre, Mitia n’aurait peut-être pas été condamné, du moins pas si rigoureusement ! Encore un coup, il était difficile de suivre les détails. Même à présent, tout cela m’apparaît dans un brouhaha. Le président fit sans doute part de ce nouveau document aux parties et au jury. Comme il demandait à Catherine Ivanovna si elle était remise, elle répondit vivement :

« Je suis prête ! Je suis tout à fait en état de vous répondre. »

Elle craignait encore qu’on ne l’écoutât point. On la pria d’expliquer en détail dans quelles circonstances elle avait reçu cette lettre.

« Je l’ai reçue la veille du crime, elle venait du cabaret, écrite sur une facture, regardez, cria-t-elle, haletante. Il me haïssait alors, ayant eu la bassesse de suivre cette créature… et aussi parce qu’il me devait ces trois mille roubles. Sa vilenie et cette dette lui faisaient honte. Voici ce qui s’est passé, je vous supplie de m’écouter ; trois semaines avant de tuer son père, il vint chez moi un matin. Je savais qu’il avait besoin d’argent et pourquoi, précisément pour séduire cette créature et l’emmener avec lui. Je connaissais sa trahison, son intention de m’abandonner, et je lui remis moi-même cet argent, sous prétexte de l’envoyer à ma sœur à Moscou. En même temps, je le regardai en face et lui dis qu’il pouvait l’envoyer quand il voudrait, « même dans un mois ». Comment n’a-t-il pas compris que cela signifiait : il te faut de l’argent pour me trahir, en voici, c’est moi qui te le donne ; prends si tu en as le courage ! Je voulais le confondre. Eh bien, il a pris cet argent, il l’a emporté et gaspillé en une nuit avec cette créature. Pourtant, il avait compris que je savais tout, je vous assure, et que je le lui donnais uniquement pour l’éprouver, pour voir s’il aurait l’infamie de l’accepter. Nos regards se croisaient, il a tout compris et il est parti avec mon argent !

— C’est vrai, Katia, s’écria Mitia, j’avais compris ton intention, pourtant j’ai accepté ton argent. Méprisez tous un misérable, je l’ai mérité !

— Accusé, dit le président, encore un mot et je vous fais sortir de la salle.