Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/323

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— Cet argent l’a tracassé, reprit Katia avec précipitation, il voulait me le rendre, mais il lui en fallait pour cette créature. Voilà pourquoi il a tué son père, mais il ne m’a rien rendu, il est parti avec elle dans ce village où on l’a arrêté. C’est là qu’il a de nouveau fait la fête, avec l’argent volé. Un jour avant le crime, il m’a écrit cette lettre étant ivre — je l’ai deviné aussitôt — sous l’empire de la colère, et persuadé que je ne la montrerais à personne, même s’il assassinait. Sinon, il ne l’aurait pas écrite. Il savait que je ne voulais pas le perdre par vengeance ! Mais lisez, lisez avec attention, je vous en prie, vous verrez qu’il décrit tout à l’avance ; comment il tuera son père, où est caché l’argent. Notez surtout cette phrase : « Je tuerai dès qu’Ivan sera parti. » Par conséquent, il a prémédité son crime, insinua perfidement Catherine Ivanovna. — On voyait qu’elle avait étudié chaque détail de cette lettre fatale. — À jeun, il ne m’aurait pas écrit, mais voyez, cette lettre constitue un programme ! »

Dans son exaltation, elle faisait fi des conséquences possibles, bien qu’elle les eût envisagées peut-être un mois auparavant, quand elle se demandait, tremblante de colère : « Faut-il lire ceci au tribunal ? » Maintenant, elle avait brûlé ses vaisseaux. C’est alors que le greffier donna lecture de la lettre, qui produisit une impression accablante. On demanda à Mitia s’il la reconnaissait.

« Oui, oui ! et je ne l’aurais pas écrite si je n’avais pas bu !… Nous nous haïssons pour bien des causes, Katia, mais je te jure que malgré ma haine, je t’aimais et que tu ne m’aimais pas ! »

Il retomba sur son banc en se tordant les mains.

Le procureur et l’avocat demandèrent à tour de rôle à Catherine Ivanovna pour quels motifs elle avait d’abord dissimulé ce document et déposé dans un tout autre esprit.

« Oui, j’ai menti tout à l’heure, contre mon honneur et ma conscience, mais je voulais le sauver, précisément parce qu’il me haïssait et me méprisait. Oh ! il me méprisait, il m’a toujours méprisée, dès l’instant où je l’ai salué jusqu’à terre à cause de cet argent. Je l’ai senti aussitôt, mais je fus longtemps sans le croire. Que de fois j’ai lu dans ses yeux : « Tu es pourtant venue toi-même chez moi. » Oh ! il n’avait rien compris, il n’a pas deviné pourquoi j’étais venue, il ne peut soupçonner que la bassesse ! Il juge tous les autres d’après lui, dit avec fureur Katia au comble de l’exaltation. Il voulait m’épouser seulement pour mon héritage, rien que pour cela, je m’en suis toujours doutée. C’est un fauve ! Il