Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/392

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D’ailleurs, ce n’est pas pour tout de suite, il aura tout le temps de s’y décider. À ce moment-là, Ivan Fiodorovitch sera guéri et s’occupera de tout, de sorte que je n’aurai pas à m’en mêler. Ne vous inquiétez pas, Dmitri consentira à s’évader : il ne peut renoncer à cette créature ; et comme elle ne serait pas admise au bagne, force lui est de s’enfuir. Il vous craint, il redoute votre blâme, vous devez donc lui permettre magnanimement de s’évader, puisque votre sanction est si nécessaire », ajouta Katia avec ironie.

Elle se tut un instant, sourit, continua :

« Il parle d’hymnes, de croix à porter, d’un certain devoir. Je m’en souviens, Ivan Fiodorovitch m’a rapporté tout cela… Si vous saviez comme il en parlait ! s’écria soudain Katia avec un élan irrésistible, si vous saviez combien il aimait ce malheureux au moment où il me racontait cela, et combien, peut-être, il le haïssait en même temps ! Et moi je l’écoutais, je le regardais pleurer avec un sourire hautain ! Oh ! la vile créature que je suis ! C’est moi qui l’ai rendu fou ! Mais l’autre, le condamné, est-il prêt à souffrir, conclut Katia avec irritation, en est-il capable ? Les êtres comme lui ignorent la souffrance ! »

Une sorte de haine et de dégoût perçait à travers ces paroles. Cependant, elle l’avait trahi. « Eh bien ! c’est peut-être parce qu’elle se sent coupable envers lui qu’elle le hait par moments », songea Aliocha. Il aurait voulu que ce ne fût que « par moments ».

Il avait senti un défi dans les dernières paroles de Katia, mais il ne le releva point.

« Je vous ai prié de venir aujourd’hui pour que vous me promettiez de le convaincre. Mais peut-être d’après vous aussi, serait-ce déloyal et vil de s’évader, ou comment dire… pas chrétien ? ajouta Katia avec une provocation encore plus marquée.

— Non, ce n’est rien. Je lui dirai tout… murmura Aliocha… Il vous prie de venir le voir aujourd’hui », reprit-il brusquement, en la regardant dans les yeux.

Elle tressaillit et eut un léger mouvement de recul.

« Moi… est-ce possible ? fit-elle en pâlissant.

— C’est possible et c’est un devoir ! déclara Aliocha d’un ton ferme. Vous lui êtes plus nécessaire que jamais. Je ne vous aurais pas tourmentée prématurément à ce sujet sans nécessité. Il est malade, il est comme fou, il vous demande constamment. Ce n’est pas pour une réconciliation qu’il veut vous voir ; montrez-vous seulement sur le seuil de sa chambre. Il a bien changé depuis cette fatale journée et comprend