Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/393

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

toute l’étendue de ses torts envers vous. Ce n’est pas votre pardon qu’il veut : « On ne peut pas me pardonner », dit-il lui-même. Il veut seulement vous voir sur le seuil…

— Vous me prenez à l’improviste… murmura Katia ; je pressentais ces jours-ci que vous viendriez dans ce dessein… Je savais bien qu’il me demanderait !… C’est impossible !

— Impossible, soit, mais faites-le. Souvenez-vous que, pour la première fois, il est consterné de vous avoir fait de tels affronts, jamais encore il n’avait compris ses torts aussi profondément ! Il dit : « Si elle refuse de venir, je serai toujours malheureux. » Vous entendez : un condamné à vingt ans de travaux forcés songe encore au bonheur, cela ne fait-il pas pitié ? Songez que vous allez voir une victime innocente, dit Aliocha avec un air de défi. Ses mains sont nettes de sang. Au nom de toutes les souffrances qui l’attendent, allez le voir maintenant ! Venez, conduisez-le dans les ténèbres, montrez-vous seulement sur le seuil… Vous devez, vous devez le faire, conclut Aliocha en insistant avec énergie sur le mot « devez ».

— Je dois… mais je ne peux pas… gémit Katia ; il me regardera… Non, je ne peux pas.

— Vos regards doivent se rencontrer. Comment pourrez-vous vivre désormais, si vous refusez maintenant ?

— Plutôt souffrir toute ma vie.

— Vous devez venir, il le faut, insista de nouveau Aliocha, inflexible.

— Mais pourquoi aujourd’hui, pourquoi tout de suite ?… Je ne puis pas abandonner le malade…

— Vous le pouvez, pour un moment, ce ne sera pas long. Si vous ne venez pas, Dmitri aura le délire cette nuit. Je ne vous mens pas, ayez pitié !

— Ayez pitié de moi ! dit avec amertume Katia, et elle fondit en larmes.

— Alors vous viendrez ! proféra fermement Aliocha en la voyant pleurer. Je vais lui dire que vous venez tout de suite.

— Non, pour rien au monde, ne lui en parlez pas ! s’écria Katia avec effroi. J’irai, mais ne le lui dites pas à l’avance, car peut-être n’entrerai-je pas… Je ne sais pas encore. »

Sa voix se brisa. Elle respirait avec peine. Aliocha se leva pour partir.

« Et si je rencontrais quelqu’un ? dit-elle tout à coup, en pâlissant de nouveau.

— C’est pourquoi il faut venir tout de suite ; il n’y aura