de la terre ! Je suis triste, Piotr Ilitch. Tu te rappelles Hamlet : « Je me sens triste, bien triste, Horatio… Hélas, le pauvre Yorick ! » C’est peut-être moi, Yorick. Justement, je suis maintenant Yorick, et ensuite un crâne. »
Piotr Ilitch l’écoutait en silence ; Mitia se tut également.
« Quel chien avez-vous là ? demanda-t-il d’un air distrait au commis, en remarquant dans un coin un joli petit épagneul aux yeux noirs.
— C’est l’épagneul de Varvara Alexéievna, notre patronne, répondit le commis ; elle l’a oublié ici, il faudra le ramener chez elle.
— J’en ai vu un pareil… au régiment… fit Mitia, d’un air rêveur, mais il avait une patte de derrière cassée… Piotr Ilitch, je voulais te demander : as-tu jamais volé ?
— Pourquoi cette question ?
— Comme ça… vois-tu, le bien d’autrui, ce qu’on prend dans la poche ? Je ne parle pas du Trésor, tout le monde le pille, et toi aussi, bien sûr…
— Va-t’en au diable !
— As-tu jamais dérobé, dans la poche, le porte-monnaie de quelqu’un ?
— J’ai chipé une fois vingt kopeks à ma mère, quand j’avais neuf ans. Je les ai pris tout doucement sur la table et les ai serrés dans ma main.
— Et alors ?
— On n’avait rien vu. Je les ai gardés trois jours, puis j’ai eu honte, j’ai avoué et je les ai rendus.
— Et alors ?
— On m’a donné le fouet, naturellement. Mais toi, est-ce que tu as volé ?
— Oui, dit Mitia en clignant de l’œil d’un air malin.
— Et quoi donc ?
— Vingt kopeks à ma mère, j’avais neuf ans, je les ai rendus au bout de trois jours. »
Et il se leva.
« Dmitri Fiodorovitch, il faudrait se hâter, cria André à la porte de la boutique.
— Tout est prêt ? Partons ! Encore un mot et… à André un verre de vodka, puis du cognac, tout de suite ! Cette boîte (avec les pistolets) sous le siège. Adieu, Piotr Ilitch, ne garde pas mauvais souvenir de moi.
— Mais tu reviens demain ?