Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/52

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— Mais qui donc l’aime ? Miséricorde ! Trois douzaines de bouteilles de champagne pour des croquants, il y a de quoi gendarmer n’importe qui.

— Ce n’est pas de ça que je veux parler, mais de l’ordre supérieur. Il n’existe pas en moi, cet ordre… Du reste, tout est fini, inutile de s’affliger. Il est trop tard. Toute ma vie fut désordonnée, il est temps de l’ordonner. Je fais des calembours, hein ?

— Tu divagues plutôt.

— Gloire au Très-Haut dans le monde, Gloire au Très-Haut en moi !

Ces vers, ou plutôt ces larmes, se sont échappés un jour de mon âme. Oui, c’est moi qui les ai faits… mais pas en traînant le capitaine par la barbe…

— Pourquoi parles-tu du capitaine ?

— Je n’en sais rien. Qu’importe ! Tout finit, tout aboutit au même total.

— Tes pistolets me poursuivent.

— Qu’importe encore ! Bois et laisse là tes rêveries. J’aime la vie, je l’ai trop aimée, jusqu’au dégoût. En voilà assez. Buvons à la vie, mon cher. Pourquoi suis-je content de moi ? Je suis vil, ma bassesse me tourmente, mais je suis content de moi. Je bénis la création, je suis prêt à bénir Dieu et ses œuvres, mais… il faut détruire un insecte malfaisant, pour l’empêcher de gâter la vie des autres… Buvons à la vie, frère ! Qu’y a-t-il de plus précieux ? Buvons aussi à la reine des reines !

— Soit ! Buvons à la vie et à ta reine ! »

Ils vidèrent un verre. Mitia, malgré son exaltation, était triste. Il paraissait en proie à un lourd souci.

« Micha… c’est Micha ? Eh ! mon cher, viens ici, bois ce verre en l’honneur de Phébus aux cheveux d’or qui se lèvera demain…

— À quoi bon lui offrir ? s’écria Piotr Ilitch, irrité.

— Laisse, je le veux.

— Hum ! »

Micha but, salua, sortit.

« Il se souviendra plus longtemps de moi. Une femme, j’aime une femme ! Qu’est-ce que la femme ? La reine