m’arrive par instants de l’aimer. Il est vil, mais avec franchise. Qu’en pensez-vous ? Un autre s’avilit par intérêt, mais lui, c’est par naturel… Par exemple, il prétend que Gogol l’a mis en scène dans les Âmes mortes[1]. Vous vous rappelez, on y voit le propriétaire foncier Maximov fouetté par Nozdriov, qui est poursuivi « pour offense personnelle au propriétaire Maximov, avec des verges, en état d’ivresse ». Il prétend que c’est de lui qu’il s’agit et qu’on l’a fouetté. Est-ce possible ? Tchitchikov voyageait vers 1830, au plus tard, de sorte que les dates ne concordent pas. Il n’a pu être fouetté, à cette époque. »
L’excitation de Kalganov, difficile à expliquer, n’en était pas moins sincère. Mitia prenait franchement son parti.
« Après tout, si, on l’a fouetté ! dit-il en riant.
— Ce n’est pas qu’on m’ait fouetté, mais comme ça, intervint Maximov.
— Qu’entends-tu par « comme ça » ? As-tu été fouetté, oui ou non ?
— Ktora godzina, panie[2] ? demanda d’un air d’ennui le pan à la pipe au pan aux longues jambes.
Celui-ci haussa les épaules ; aucun d’eux n’avait de montre.
« Laissez donc parler les autres ! Si vous vous ennuyez, ce n’est pas une raison pour imposer silence à tout le monde », fit Grouchegnka d’un air agressif.
Mitia commençait à comprendre. Le pan répondit cette fois avec une irritation visible.
« Panie, ja nic nie mowie przeciw, nic nie powiedzilem »[3].
— C’est bien, continue, cria-t-elle à Maximov. Pourquoi vous taisez-vous tous ?
— Mais il n’y a rien à raconter, ce sont des bêtises, reprit Maximov avec satisfaction et en minaudant un peu ; dans Gogol, tout cela est allégorique, car ses noms sont tous symboliques : Nozdriov ne s’appelait pas Nozdriov, mais Nossov ; quant à Kouvchinnikov, ça ne ressemble pas du tout, car il avait nom Chkvorniez. Fénardi s’appelait bien ainsi, seulement ce n’était pas un Italien, mais un Russe, Pétrov ; mam’selle Fénardi était jolie dans son maillot, sa jupe de paillettes courtes, et elle a bien pirouetté, mais pas quatre heures, seulement quatre minutes… et enchanté tout le monde.