Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 1.djvu/248

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terrestre çntretous les vivants, parce que jamais, — jamais I — ils ne sauront faire le partage entre eux ! Ils se convaincront aussi qu’ils sont indignes de la liberté ; faibles, vicieux, sots et révoltés comme ils sont. Tu leur promettais le pain du ciel : de grâce! peux- tu comparer ce pain-là avec celui de la terre, la race humaine étant la chose vile et incorrigiblement vile qu’elle est? Tu pourras, avec ton pain du ciel, attirer et séduire des milliers d’âmes, voire des dizaines de milliers ; mais, et les millions et les dizaines de milliers de millions qui n’auront pas le courage de pré- férer ton pain du ciel à celui de la terre? Ne serais-tu le Dieu que des grands et des forts ? Et les autres, ces grains de sable de la mer, les autres qui sont faibles , mais qui t’aiment, ne sont-ils à tes yeux que de vils instruments dans les mains des grands et des forts? Ils nous sont pour- tant chers , à nous , ces êtres faibles : ils finiront, tout vicieux et révoltés qu’ils soient, par se laisser dompter, ils nous admireront, nous serons leursdieux.nous qui aurons consenti à prendre sur nous le poids de leur liberté et à régner sur eux, — tant la liberté finira par leur faire peur ! et nous nous appellerons « disciples de Jésus », nous régnerons en ton nom, — sans te laisser approcher de nous. Cette imposture constituera notre part de souffrance, car il nous faudra mentir. — Voilà le sens de la première des trois questions. Elle recelait le secret du monde : tu l’as dédaigné 1 Tu mettais la liberté au-dessus de tout, alors que, en acceptant les pains, tu aurais satisfait l’éternel et l’unanime désir de l’humanité : « Donnez-nous un maître! » Car il n’y a pas de souci plus constant et plus cuisant, pour l’homme libre, que celui de chercher un objet