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Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 1.djvu/263

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baise doucement les lèvres exsangues du nonagénaire. C’est toute la réponse ! Le vieillard tressaille , ses lèvres tremblent; il va à la porte, l’ouvre et dit : « Va-t’en et ne reviens plus... Ne reviens plus jamais, jamais !» Et il le laisse sortir dans les ténèbres de la ville. Le prisonnier s’en va.

— Et le vieillard ?

— Le baiser brûle son cœur, mais il garde sa conviction.

— Et toi aussi, tu restes avec lui ! s’écria amèrement Alioscha.

Ivan se mit à rire.

— Mais quelles bêtises, Alioscha ! C’est un pof^me dénué de sens, l’ouvrage d’un inexpérimenté I Pourquoi le pren- dre au sérieux ? Penses-tu que je vais chez les Jésuites me mettre à l’unisson avec ceux qui corrigent Son œuvre ? Bon Dieu ! cela me regarde-t-il ? Je te l’ai déjà dit : que j’aille jusqu’à trente ans, et puis je briserai mon verre !

— Et les petites feuilles printanières, et les tombeaux vénérables, et le ciel bleu, et la femme aimée ? Comment vivras-tu ? Qu’aimeras-tu donc ? Comment vivre avec tant d’enfer au cœur et dans la tète ! Oui, tu vas les rejoindre... ou bien te tuer...

— Il y a pourtant en moi une force qui pourra me retenir, dit Ivan avec un froid sourire.

— Laquelle ?

— Celle des Karamazov... la force que les Karamazov doivent à la bassesse de leur nature.

— C’est-à-dire la débauche, étouffer l’âme dans la boue, n’est-ce pas ? n’est-ce pas ?