Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 1.djvu/34

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trop occupé de faire son salut… Que vous êtes bon ! je le sais depuis longtemps, et j’ai plaisir à vous le dire.

— Lise ! fit la mère d’un ton qui voulait être grondeur, mais elle sourit presque aussitôt… Aussi vous nous oubliez trop, Alexey Fedorovitch, vous ne venez jamais chez nous. Pourtant, ma Liza m’a dit plus d’une fois qu’elle ne se sentait bien qu’auprès de vous.

Alioscha baissa les yeux, rougit de nouveau et sourit sans savoir pourquoi. Le starets avait détourné de lui son attention. Il causait avec un moine qui se tenait auprès du fauteuil de Liza, un moine très-simple, d’origine paysanne, aux idées étroites, mais plein de foi et très-obstiné. Il dit qu’il venait du Nord, d’Obdorsk, du couvent de Saint-Sylvestre, un pauvre couvent composé de vingt moines seulement. Le starets le bénit, et l’invita à venir le visiter dans sa cellule quand il lui plairait. À ce moment, la pomiestchitsa lui demanda de quelle maladie il pouvait souffrir, ayant tous les dehors d’une excellente santé et la gaieté peinte sur le visage.

— Je me sens aujourd’hui mieux que de coutume, mais ce mieux est passager. Je connais mon mal, et si je vous semble si gai c’est que l’homme est créé pour le bonheur et qu’il se sent heureux dès qu’il peut se dire : « J’ai fait mon devoir. » Je suis d’ailleurs content de votre remarque, car tous les saints étaient gais.

— Avec quelle assurance vous dites de si grandes paroles ! Vos paroles sont comme des traits. Mais le bonheur, où est-il pourtant ? Qui peut dire de lui-même qu’il est heureux ? Puisque vous avez la bonté de nous permettre de rester quelques instants encore, laissez-moi vous dire