Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 1.djvu/89

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Peu de temps après, Alioscha déclara à son père qu’il avait l’intention d’entrer au monastère ; que les moines l’avaient accepté et qu’il n’attendait plus que l’autorisation paternelle. Le vieux savait déjà que le starets Zossima avait produit sur le « doux garçon » une profonde impression.

— Ce starets est certainement le plus honnête des moines, dit-il après avoir écouté silencieusement, sans marquer aucune surprise, la demande de son fils. Hum !… alors tu veux vivre avec lui, mon doux garçon… Il était à moitié gris. Il sourit d’un étrange sourire empreint de cette finesse particulière des ivrognes.) Hum ! je pressentais que tu finirais ainsi. Savais-tu que je l’avais pressenti ? Je me doutais bien que tu prendrais ce chemin ! Eh bien, soit, tu as deux mille roubles ; ce sera ta dot. Quant à moi, mon ange, je ne t’abandonnerai jamais. Je donnerai ce qu’il faudra, ce qu’on me demandera. Si l’on ne veut rien, d’ailleurs, je n’insisterai pas ; je sais que tu ne dépenses guère plus qu’un petit oiseau, deux grains de mil par semaine. Hum !… alors tu veux te faire moine ? Crois-moi, Alioscha, je te regrette, je t’aime vraiment… enfin, c’est bien, tu prieras pour nous autres pécheurs, car nous avons beaucoup péché. Je me le suis demandé souvent : Qui priera pour moi ? Mon doux garçon, tu sais que je n’entends pas grand’chose aux affaires de l’autre monde, pourtant j’y pense quelquefois… pas toujours : ce n’est pas une occupation pour un homme ! Je me dis : Il n’est pas possible que le diable oublie de m’accrocher avec sa fourche après ma mort. Eh bien ! mais, cette fourche, qu’est-ce que c’est ? En quoi est-elle ? Où la fabrique-t-on ? Où est la fabrique ? Les moines croient probablement que