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le quittait sans être consolé. Ses plus chauds partisans le tenaient pour un saint et affirmaient qu’après sa mort on obtiendrait certainement des miracles par son intercession. C’était particulièrement le sentiment d’Alioscha, qui avait été témoin des guérisons miraculeuses opérées par le starets : guérisons véritables ou simples améliorations naturelles ? Alioscha ne se faisait pas cette question. Alioscha croyait en aveugle à la puissance spirituelle de son directeur, la gloire du starets faisait la joie d’Alioscha.

Il se réjouissait de voir la foule venir pour contempler le saint vieillard, pleurer de bonheur à sa vue, s’agenouiller, baiser la terre qui le portait. Les femmes lui tendaient leurs enfants… Alioscha ne se demandait pas pourquoi la foule aimait tant le starets ; il comprenait très-bien que pour ces âmes simples, fatiguées de travail, de chagrin, de leurs propres iniquités et de l’iniquité constante du monde, il n’y a pas de plus pressant besoin que celui de la consolation ; et quel bonheur c’est, pour de telles ûmes, que d’avoir un saint à vénérer et de se dire : « Nous pouvons pécher, nous pouvons céder à la tentation : le mensonge est en nous, mais il y a quelque part un saint qui sait, qui possède la vérité ! Ainsi grâce à lui, elle se perpétue dans le monde, elle rayonnera quelque jour jusqu’à nous et régnera sur toute la terre comme il a été prophétisé. » Et la pensée que, du moins, le starets était seul à ce point vénérable n’embarrassait pas Alioscha : « Qu’importe, pensait-il, s’il possède le secret de la régénération universelle, la puissance qui finira par établir le règne de la vérité ? Les hommes alors s’aimeront entre eux, et il n’y aura ni riches, ni pauvres, ni grands, ni