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Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 1.djvu/93

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père pour voir s’il avait plus de deux roubles à donner. Mais la rencontre du starets avait coupé court à toutes ses hésitations.

Quelques mots ici sur le starets Zossima et sur les staretsi[1] en général. Je suis malheureusement sans compétence en la matière, mais j’en dirai le peu que je sais.

Le starets est un homme qui prend la volonté et l’âme des autres et en fait son âme propre et sa propre volonté. On s’abdique entre ses mains ; il prend sur lui toutes les misères du monde, dans l’espérance d’arriver à se vaincre soi-même, à se maîtriser, afin d’obtenir, par l’obéissance jusqu’à la mort, la véritable et totale liberté, l’affranchissement de tout désir personnel, pensant échapper ainsi au malheur de ceux qui passent leur vie à chercher en eux-mêmes leur propre « moi j sans parvenir à le trouver. Le doyennat comporte un pouvoir illimité. Aussi a-t-il été longtemps interdit. Pourtant, les staretsi s’acquirent rapidement une haute renommée dans le peuple.

Chez le starets de notre monastère accouraient en foule nobles et paysans, pour lui confier leurs doutes, leurs péchés, leurs souffrances, et lui demander des conseils.

Notre starets Zossima avait soixante-cinq ans. C’était un ancien pomiestchik. Dans sa première jeunesse, il avait été officier dans l’armée du Caucase. On disait qu’à force d’entendre des confessions il avait acquis une telle lucidité, une telle pénétration que, du premier regard, il devinait ce que venait lui demander n’importe qui s’adressait à lui. On en était d’abord effrayé, mais personne ne

  1. Pluriel russe de starets.