Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 2.djvu/129

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vous ne me comprenez pas ! Mais, chaque jour, depuis que je portais ces quinze cents roubles sur ma poitrine, je me disais : « Tu es un voleur ! tu es un voleur ! » Cette pensée est l’origine de toutes mes violences pendant tout ce mois ; c’est à cause d’elle que j’ai battu le capitaine dans le traktir et mon père chez lui. Je n’ai pas osé dévoiler ce secret à mon frère Alioscha lui-même, tant j’avais honte ! Et pourtant, je songeais : « Je pourrais encore cesser d’être un voleur… Je pourrais aller dès demain rendre à Katia ses quinze cents roubles. » Et c’est hier soir seulement que je me suis décidé à déchirer mon amulette : c’est alors seulement que je suis devenu un voleur accompli… Avez-vous enfin compris ?

— Et pourquoi avez-vous pris cette décision hier seulement ? demanda Nikolay Parfenovitch.

— Quelle question ridicule ! Mais parce que je m’étais condamné à mort et qu’il m’était indifférent de mourir honnête ou malhonnête. Ce qui me faisait le plus souffrir cette nuit, ce n’était pas le souvenir de mon crime, — quoique je crusse Grigori mort, — ce n’était pas la Sibérie, et cela au moment où mon amour allait être couronné ! Sans doute, j’en souffrais, mais pas autant que de cette pensée : « Je suis désormais et à perpétuité un voleur… » Ô messieurs ! j’ai beaucoup appris pendant cette nuit ! J’ai appris que non-seulement il est impossible de vivre avec ce sentiment qu’on est un malhonnête homme, mais encore ai-je appris qu’il est bien difficile de mourir avec ce sentiment-là… Oh ! non, il faut pouvoir se rendre le témoignage qu’on est honnête pour avoir le courage de bien mourir !…