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Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 2.djvu/128

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cet argent, je puis du jour au lendemain me décider à le rendre, et, dès lors, je cesse d’être un malhonnête homme. Mais je ne puis m’y décider, je ne cesse d’y penser et je n’arrive pas à prendre un parti : est-ce bien, cela ?

— J’admets que ce n’est pas tout à fait bien. D’ailleurs, coupons là cette discussion sur ces subtilités ; venez au fait, je vous prie. Vous ne nous avez pas encore expliqué les motifs qui vous ont poussé à diviser en deux parts ces trois mille roubles. À quoi vouliez-vous consacrer la part que vous gardiez ? J’insiste là-dessus, non sans dessein, Dmitri Fédorovitch.

— Ah ! oui, pardon de vous faire languir, car c’est là le principal, et vous allez bientôt comprendre que c’est le but même de mon action qui en fait la honte. Voyez-vous, le défunt ne cessait de tourmenter Agrafeana Alexandrovna, et moi, jaloux, je croyais qu’elle hésitait entre lui et moi. Mais que serait-il arrivé si, un jour, elle m’avait dit : « C’est toi que j’aime, emmène-moi au bout du monde » ? Je ne possédais pas vingt kopeks ; qu’aurais-je fait ? Car je ne la connaissais pas encore, je croyais qu’il lui fallait de l’argent, qu’elle ne me pardonnerait pas ma pauvreté. Alors, de sang-froid, je compte la somme, j’en cache la moitié sous mon linge, et je vais faire la noce avec l’autre moitié : comprenez-vous ? Avouez que c’est ignoble.

Les juges se mirent à rire.

— Il serait au contraire, d’après moi, très-moral que vous n’eussiez pas dépensé toute la somme, que vous vous fussiez retenu à ce point, dit Nikolay Parfenovitch. Qu’y a-t-il donc là de si grave ?

— Mais alors c’est un vol ! je suis effrayé de voir que