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elle croit à un secret entre nous trois, en y comptant Katia ? Non, Grouschka, ce n’est pas un secret, tu te trompes… Alioscha, soit… je vais te dévoiler ce secret.

Mitia regarda de tous côtés, s’approcha d’Alioscha et se mit à lui parler tout bas, quoique personne ne pût l’entendre, le vieux geôlier dormant dans un coin et le factionnaire étant trop éloigné.

— Je veux avoir ton avis : Ivan nous est supérieur, mais tu es meilleur… et qui sait si tu n’es pas supérieur à Ivan ! — C’est un cas de conscience que je ne puis décider sans ton conseil. Pour le moment, toutefois, ne me donne pas ton opinion avant que le jugement soit prononcé. Écoute… Ivan me conseille de m’enfuir. J’omets les détails, tout est prêt, tout peut s’arranger. L’Amérique avec Grouschka ! Ivan dit qu’on ne marie pas les forçats : vivre sans Grouschka ! je me briserais la tête contre un mur. Mais de l’autre côté, la conscience ? Je me dérobe au châtiment, je me détourne de la voie de purification qui m’était ouverte. Ivan dit qu’en Amérique, avec de la « bonne volonté », on peut faire plus de bien que dans les carrières. Et notre hymne souterrain ? L’Amérique, qu’est-ce que c’est ? Quelle vanité ! Ivan se moque de mon hymne… Ne parle pas, tu as déjà ton opinion faite, mais grâce ! Attends le jugement, songe que je ne puis vivre sans Grouschka.

Alioscha était très-ému.

— Dis-moi, demanda-t-il, est-ce qu’Ivan insiste beaucoup ? Qui a le premier eu cette idée ?

— C’est lui ! Il insiste ; il ne conseille pas, il ordonne. Il me propose dix mille roubles pour la fuite et dix mille pour l’Amérique.