— Ah ! tu avais donc l’intention de me torturer pendant toute ma vie ? dit Ivan, les dents serrées. Et qu’aurais-tu fait si je t’avais dénoncé au lieu de partir ?
— Qu’auriez-vous pu dire ? Que je vous avais conseillé de partir pour Tcheremachnia ? Des bêtises, tout cela ! D’ailleurs, si vous étiez resté, rien ne serait arrivé ; j’aurais pensé que vous ne vouliez pas et je n’aurais rien entrepris. Mais puisque vous étiez parti, vous m’aviez, par le fait même, assuré que vous ne me dénonceriez pas et que vous fermeriez les yeux sur ces trois mille roubles. Vous n’auriez pas pu me poursuivre ensuite, car j’aurais tout dit aux juges : non pas que j’avais volé ou tué, — cela, je ne l’aurais pas dit, — mais que vous m’aviez poussé à tuer et à voler et que je n’avais pas consenti. Croyez-moi, vous n’auriez rien pu dire contre moi, et moi j’aurais dévoilé votre désir de voir votre père mort, et tout le monde m’aurait cru, je vous en donne ma parole.
— Alors je désirais la mort de mon père ?
— Mais certainement.
Smerdiakov était très — affaibli, mais une force intérieure le stimulait, il avait quelque projet caché qu’Ivan pressentait.
— Continue.
— Continuer ? Soit. Je reste donc étendu et j’entends un cri du barine. Grigori était déjà sorti ; tout à coup il crie aussi, et tout se tait. Silence, nuit. Je demeure immobile, attendant, mon cœur bat, la patience me manque. Je me lève, je sors. Je vois à gauche la fenêtre de Fédor Pavlovitch ouverte et je fais encore un pas ; j’écoute, me demandant s’il est vivant ou non, et j’entends le