Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 2.djvu/200

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l’arbre ; appelez-la donc vous-même. » Il courut à la fenêtre et y porta la bougie. « Grouschegnka ! Grouschegnka ! Tu es ici ? » appelait-il. Il n’osait se pencher en dehors de la fenêtre, ni me laisser entrer ; il avait décidément peur de moi. « Mais la voilà ! » lui dis-je. Je le suivis à la fenêtre et me penchai dehors. « La voilà, derrière l’arbuste, elle vous sourit, regardez donc ! » Il me crut, tant il était amoureux, et il se pencha au dehors. Je saisis alors le presse-papier en fonte, vous vous rappelez, qui était sur sa table… cela pèse trois livres… et je lui assénai de toutes mes forces un coup sur la tête ; cela entra par le coin. Il ne jeta même pas un cri et s’affaissa. Je le frappai une seconde, une troisième fois. Je m’aperçus alors qu’il avait le crâne fracassé. Il était tombé à la renverse, tout couvert de sang. Je m’examinai : n’étais-je pas taché ? Pas une marque. J’essuyai le presse-papier, je le remis à sa place, puis je pris l’argent derrière les icônes et jetai l’enveloppe déchirée et le ruban rose à terre. Je sortis en tremblant. Je m’approchai du pommier qui a une cavité, vous souvenez-vous ? Je l’avais remarqué depuis longtemps, j’y avais même préparé un torchon et du papier. J’enveloppai la somme dans le torchon, puis dans le papier, et je fourrai le paquet tout au fond. Il y est resté pendant quinze jours, et je ne l’en ai retiré qu’après ma sortie de l’hôpital. Je rentrai ensuite dans ma chambre, je me recouchai et je pensais avec frayeur : Si Grigori est tué, c’est tant pis ; s’il n’est pas tué, il pourra témoigner que Dmitri Fédorovitch est venu, que par conséquent c’est lui qui a tué et volé. Je me remis à gémir plus fort que jamais pour réveiller Marfa Ignatievna. Elle finit par se lever, vint d’a-