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Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 2.djvu/277

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aussi pure, aussi honorable que madame Verkhovtseva se permet, devant un tribunal, de changer tout à coup sa déposition dans le but évident de perdre l’accusé, il est évident aussi que ce revirement lui est dicté par un parti pris. On ne peut donc nous défendre de conclure que le désir de la vengeance a pu lui faire outre-passer les bornes de la vérité. Elle a donc pu exagérer les conditions humiliantes dans lesquelles elle avait offert l’argent accepté par l’accusé. Cet argent a peut-être, au contraire, été offert dans des circonstances qui permettaient à un homme léger comme notre client de l’accepter, surtout avec la pensée — que sa légèreté encore rendrait plausible — qu’il pourrait le rendre avec les trois mille roubles que lui devait son père. L’accusation ne veut pas admettre les parts que l’accusé a faites de cette somme et cette histoire d’amulette. « Le caractère de Karamazov, a dit M. le procureur, est incompatible avec de tels sentiments. » Et pourtant, vous nous parliez vous-même des deux abîmes qu’un Karamazov peut envisager à la fois ! Eh bien, vous aviez raison ! Un Karamazov peut se laisser à la fois entraîner aux prodigalités de la débauche et se laisser influencer par une autre force : cette autre force, c’est l’amour, c’est ce nouvel amour qui s’est enflammé en lui comme la poudre. Et pour cet amour, il faut de l’argent, il en faut plus encore que pour faire la fête avec la même bien-aimée. Qu’elle lui dise : « Je suis à toi ! je ne veux pas de Fédor Pavlovitch ! » Il la saisira, il l’emmènera au loin. Comment pouvez-vous croire Karamazov incapable de comprendre cela ? Qu’y a-t-il donc d’invraisemblable dans cette division de la somme prêtée dont il aurait gardé