Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 2.djvu/287

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je ne sais pourquoi moi-même… ce n’était certes pas à cause d’elle ! s’écria Katharina Ivanovna les lèvres tremblantes de colère. Mais Ivan Fédorovitch me crut jalouse d’elle et par conséquent encore éprise de Dmitri. Voilà la cause de notre première querelle. Je ne voulus pas donner d’explication ; m’excuser m’était impossible et je souffrais qu’un tel homme pût se tromper au point de me croire encore esclave de mon amour passé pour ce… et cela après que je lui avais dit moi-même que je n’aimais plus Dmitri, et que je l’aimais, lui, Ivan, et lui seul ! Ce n’était pourtant que de la colère et du mépris que j’avais pour ce couple… Trois jours après cette première querelle, il m’apporta, justement le soir où vous êtes venu, une enveloppe cachetée que je devais ouvrir dans le cas où il lui arriverait quelque chose, à lui, Ivan, quelque chose qui le mît dans l’impossibilité d’agir en personne. Oh ! il avait le pressentiment de sa maladie… Il m’avertit que cette enveloppe contenait les plans d’évasion et que, s’il mourait ou tombait malade, je devrais, à sa place, sauver Mitia. Il me laissa en même temps dix mille roubles. Je fus vivement impressionnée par ce fait que, tout jaloux qu’il fût de Dmitri à cause de moi, et convaincu que je le lui préférais encore, Ivan n’abandonnât pas son frère et que ce fût à moi — à moi ! — qu’il confiât le soin de le sauver. Quelle sublime abnégation ! Vous ne pouvez comprendre toute la grandeur de cette action, Alexey Fédorovitch ! J’étais au moment de tomber à genoux devant lui, mais j’ai craint aussitôt qu’il ne prît cette démonstration pour un témoignage de ma joie à la pensée que Dmitri serait sauvé. La possibilité d’une telle injustice m’irrita si fort, qu’au lieu de lui bai-