Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 2.djvu/298

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cains. N’aie pas peur, nous ne rentrerons pas dans cette ville, nous irons loin au Nord ou au Sud. Je serai changé, elle aussi : d’ailleurs, je me ferai faire une mouche dans la joue, ou bien je m’arracherai un œil, ou je porterai une barbe blanche, longue d’un arschine (car le mal du pays me fera vite vieillir !) et l’on ne me reconnaîtra pas. Et puis, si l’on me reconnaît, qu’on me déporte ! Cette fois, je ne m’évaderai pas, ce sera le signe de la fatalité. Sinon je labourerai dans un lieu reculé, et toujours je me ferai passer pour Américain. Voilà mon plan, je n’y changerai rien. L’approuves-tu ?

— Oui, dit Alioscha pour ne pas le contredire. Après un court silence, Mitia reprit :

— Que dis-tu des piéges qu’on m’a tendus ?

— N’importe ! on t’aurait toujours condamné, dit Alioscha en soupirant.

— Oui, on en a assez de moi, ici. Que Dieu les bénisse !… Pourtant c’est dur…

Un silence.

— Alioscha ! Tue-moi tout de suite. Viendra-t-elle ou non ? Qu’a-t-elle dit !

— Elle viendra, mais je ne sais si ce sera aujourd’hui. Cela lui est pénible, dit Alioscha doucement.

— Je le crois ! je le crois bien ! Oh ! je deviendrai fou ! Et Grouscha qui ne cesse de me regarder ! Elle comprend… Dieu ! dirige-moi ! Qu’est-ce que je demande ? Katia ! Mais est-ce que je comprends ce que je demande ? Oh ! la violence des Karamazov ! Oh, les âmes viles ! Non, je ne suis pas capable de souffrir, je ne suis qu’un vaurien !…

— La voilà, s’écria Alioscha.