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Ils vidèrent un verre. Mitia, tout exalté qu’il fût, était triste. Un lourd souci l’accablait.

— Micha ! C’est Micha ? Eh ! mon petit pigeon, viens ici ! Bois-moi ceci en l’honneur du Phébus aux cheveux d’or qui se lèvera demain matin.

— Que fais-tu là ? s’écria Petre Iliitch irrité.

— Mais laisse donc ! Je le veux.

— Heu !

Micha but, salua et partit.

— Il se souviendra plus longtemps de moi… Une femme ! j’aime une femme ! Qu’est-ce qu’une femme ? La reine de la terre. Je me sens triste… Je suis triste, Petre Iliitch. Te rappelles-tu Hamlet ? « Je me sens triste, oh ! triste, Horatio… Hélas ! pauvre Yorick ! » C’est peut-être moi, ce Yorick. Oui, oui ! Je suis Yorick maintenant, et tout à l’heure un crâne.

Petre Iliitch écoutait en silence.

— Qu’est-ce que ce chien ? demanda Mitia au garçon en indiquant un petit chien aux yeux étincelants.

— Il appartient à la patronne.

— J’en ai vu un semblable quand j’étais au régiment… fit Mitia d’un ton rêveur. Mais l’autre avait une jambe de derrière cassée… Petre Iliitch, je voulais te demander : As-tu jamais volé ?

— Quelle question !

— Comme cela… vois-tu… quelque chose qui ne vous appartient pas, qu’on prend dans la poche d’autrui ? Je ne te parle pas du Trésor : le Trésor, tout le monde le vole, et toi comme les autres, bien sûr…

— Va-t’en au diable !