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IV

Et Dmitri Fédorovitch volait vers Mokroïe. La distance était de vingt verstes environ. La troïka d’Andrey allait assez vite pour les franchir en un peu plus d’une heure.

La course rafraîchit Mitia. Il n’éprouvait aucun sentiment de jalousie contre son nouveau rival. De tout autre il aurait aussitôt voulu la mort. Mais il ne haïssait pas celui-ci, le premier. « Ici, je n’ai rien à dire, c’est leur droit. C’est le premier amour, c’est le seul. Elle n’a pas cessé de l’aimer depuis cinq ans. Que ferais-je là ? Je dois laisser le chemin libre. D’ailleurs tout est fini, indépendamment même de cette affaire… »

Un moment, il pensa arrêter Andrey, sortir de la voiture, prendre un pistolet et en finir sans attendre le matin. Mais la troïka « dévorait l’espace », et, plus il approchait du but, plus la pensée d’elle, d’elle seule, le dominait. « Oh ! la voir, au moins un instant ! Elle est maintenant avec lui. Eh bien ! je vais la voir heureuse, c’est tout ce qu’il me faut ! »

Jamais encore il n’avait tant aimé cette femme qui lui était si fatale. C’était un sentiment inconnu encore, une tendresse religieuse, une adoration mystique. « Oui, il faut que je disparaisse. »

Une heure s’écoula. Tout à coup Mitia s’écria avec inquiétude :