Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 2.djvu/46

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

veau le moujik par les épaules, dis-moi : Dmitri Fédorovitch Karamazov ira-t-il en enfer ?

— Je ne sais pas, cher barine, ça dépend de vous. Mais vous êtes pour nous tous comme un petit enfant ; nous vous aimons, quoique vous soyez violent, barine. Dieu vous pardonnera.

Et Alexey fouetta le cheval gauche.

— Et toi aussi, tu me pardonnes, Andrey ?

— Mais que vous pardonnerais-je ? Vous ne m’avez rien fait.

— Non, pour tous, pour les autres, toi seul, tout de suite, sur la route, veux-tu me pardonner pour tous les autres, simple cœur ?

— Oh ! barine, j’ai peur de vous mener là-bas ! Vous parlez étrangement…

Mitia n’entendit pas, il priait avec exaltation.

« Dieu ! Seigneur ! Contemple-moi dans toute mon ignominie, mais ne me juge pas… Ne me juge pas, car je me suis jugé moi-même ! Ne me juge pas, car je t’aime, mon Dieu ! Je suis vil, mais je t’aime. Tu peux m’envoyer dans ton enfer, là même je t’aimerai et je crierai que je t’aime pour l’éternité… Mais laisse-moi en finir avec mon amour d’ici-bas, encore seulement cinq heures de ton soleil ! car je ne puis ne pas l’aimer, la reine de mon âme, je l’aime, ô Dieu ! et je ne peux pas ne pas l’aimer ! Tu me vois tel que je suis : je tomberai devant elle à genoux, et je lui dirai : « Tu as raison de me rejeter de ton chemin… Adieu ! oublie ta victime, ne t’inquiète jamais de moi… »

— Mokroïe ! cria Andrey en montrant de son knout le village.