Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/146

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V

La porte des Lébiadkine n’était pas fermée à clef, nous n’eûmes donc pas de peine à entrer. Tout leur logement consistait en deux vilaines petites chambres, dont les murs enfumés étaient garnis d’une tapisserie sale et délabrée. Ces deux pièces avaient jadis fait partie de la gargote de Philippoff, avant que celui-ci eût transféré son établissement dans une maison neuve ; sauf un vieux fauteuil auquel manquait un bras, le mobilier se composait de bancs grossiers et de tables en bois blanc. Dans un coin de la seconde chambre se trouvait un lit couvert d’une courte-pointe d’indienne ; c’était là que couchait mademoiselle Lébiadkine ; quant au capitaine, qui chaque nuit rentrait ivre, il cuvait son vin sur le plancher. Partout régnaient le désordre et la malpropreté ; une grande loque toute mouillée traînait au milieu de la pièce, à côté d’une vieille savate. Il était évident que personne, là, ne s’occupait de rien ; on n’allumait pas les poêles, on ne faisait pas la cuisine. Les Lébiadkine, à ce que m’apprit Chatoff, ne possédaient même pas de samovar. Quand le capitaine était arrivé avec sa sœur, il tirait le diable par la queue, et, comme l’avait dit Lipoutine, il avait commencé par aller mendier dans les maisons ; depuis qu’il avait le gousset garni, il s’adonnait à la boisson, et l’ivrognerie lui faisait négliger complètement le soin de son intérieur.

Mademoiselle Lébiadkine, que je désirais tant voir, était tranquillement assise sur un banc dans un coin de la chambre, devant une table de cuisine. Lorsque nous ouvrîmes la porte, elle ne proféra pas un mot et ne bougea même pas de sa place. Chatoff me dit que l’appartement n’était jamais fermé, et qu’une fois elle avait passé toute la nuit dans le vestibule