une sorte de malaise en sentant ce regard attaché sur lui. Pour tout ce qui concernait l’instruction et l’éducation de son fils, Barbara Pétrovna s’en remettait pleinement à Stépan Trophimovitch, car, dans ce temps-là, elle le voyait encore à travers ses illusions. Il est à croire que le maître détraqua plus ou moins le système nerveux de son élève. Quand, à l’âge se seize ans, Nicolas Vsévolodovitch fut envoyé au lycée, c’était un adolescent débile et pâle dont la douceur et l’humeur rêveuse avaient quelque chose d’étrange. (Plus tard il se distingua par une force physique extraordinaire.) En tout cas, on fit bien de séparer les deux amis ; peut-être même aurait-on dû prendre cette mesure plus tôt.
Pendant les deux premières années de son séjour au lycée, le jeune homme revint passer ses vacances à Skvorechniki. Lorsque Barbara Pétrovna se fut rendue à Pétersbourg avec Stépan Trophimovitch, il assista à quelques unes des soirées littéraires qui avaient lieu chez elle. Parlant peu, tranquille et timide comme autrefois, il se bornait à écouter et à observer. Son ancienne affection pour Stépan Trophimovitch ne semblait pas refroidie, mais elle était devenue moins expansive. Après avoir terminé ses études, il entra au service militaire, sur le désir de Barbara Pétrovna. Bientôt on le fit passer dans un des plus brillants régiments de la garde à cheval. Il n’alla point montrer son uniforme à sa mère, et ne lui écrivit que rarement. Barbara Pétrovna ne lésinait point sur les envois d’argent, bien que l’abolition du servage eût tout d’abord réduit de moitié son revenu. Du reste, les économies faites par elle depuis de longues années avaient fini par former un capital assez rondelet. Elle s’intéressait vivement aux succès de son fils dans la haute société pétersbourgeoise. C’était en quelque sorte la revanche de ses ambitions déçues. Elle était heureuse de se dire que les portes dont elle n’avait pu franchir le seuil s’ouvraient toutes grandes devant ce jeune officier riche et plein d’avenir. Mais des bruits assez étranges ne tardèrent pas à arriver aux oreilles de Barbara Pétrovna : à en croire