Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/264

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x basse et sans lever les yeux, — je me demandais toujours pourquoi vous ne veniez pas.

— Vous étiez donc bien sûr que je viendrais ?

— Oui, attendez, j’ai rêvé… je rêve peut-être encore maintenant… Attendez.

Il se leva à demi, et sur le plus haut des trois rayons qui lui servaient de bibliothèque, il prit quelque chose, c’était un revolver.

— Une nuit j’ai rêvé que vous viendriez me tuer, et le lendemain matin j’ai dépensé tout ce qui me restait d’argent pour acheter un revolver à ce coquin de Liamchine ; je voulais vendre chèrement ma vie. Ensuite j’ai recouvré le bon sens… Je n’ai ni poudre, ni balles ; depuis ce temps l’arme est toujours restée sur ce rayon. Attendez…

En parlant ainsi, il se disposait à ouvrir le vasistas ; Nicolas Vsévolodovitch l’en empêcha.

— Ne le jetez pas, à quoi bon ? il coûte de l’argent, et demain les gens diront qu’on trouve des revolvers traînant sous la fenêtre de Chatoff. Remettez-le en place ; là, c’est bien, asseyez- vous. Dites-moi, pourquoi me racontez-vous, comme un pénitent à confesse, que vous m’avez supposé l’intention de venir vous tuer ? En ce moment même je ne viens pas me réconcilier avec vous, mais vous parler de choses urgentes. D’abord, j’ai une explication à vous demander, ce n’est pas à cause de ma liaison avec votre femme que vous m’avez frappé ?

— Vous savez bien que ce n’est pas pour cela, répondit Chatoff, les yeux toujours baissés.

— Ni parce que vous avez cru à la stupide histoire concernant Daria Pavlovna ?

— Non, non, assurément non ! C’est une stupidité ! Dès le commencement ma sœur me l’a dit… répliqua Chatoff avec impatience et même en frappant légèrement du pied.

— Alors j’avais deviné et vous avez deviné aussi, poursuivit d’un ton calme Stavroguine, — vous ne vous êtes pas trompé : Marie Timoféievna Lébiadkine est ma femme légitime, je l’ai épousée à P