Aller au contenu

Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/317

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

estimait particulièrement. Aussi Kiriloff trouva-t-il le terrain tout préparé quand, le lendemain, à neuf heures du matin, il se présenta comme mandataire de son ami. Gaganoff le laissa à peine s’expliquer et repoussa avec une irritation extraordinaire toutes les excuses, toutes les concessions de Nicolas Vsévolodovitch. Elles étaient pourtant d’une nature telle que Maurice Nikolaïévitch en fut stupéfait : il voulut parler dans le sens de la conciliation, mais remarquant qu’Artémii Pétrovitch avait deviné son intention et s’agitait sur sa chaise, il garda le silence. Sans la parole donnée à son ami, il se serait retiré sur le champ, et s’il ne renonça pas à sa mission, ce fut seulement dans l’espoir qu’au dernier moment son intervention pourrait être utile. Kiriloff transmit, au nom de son client, la demande d’une réparation par les armes ; toutes les conditions de la rencontre, telles qu’elles avaient été fixées par Stavroguine furent acceptées aussitôt sans le moindre débat. Gaganoff n’y fit qu’une addition, destinée, du reste, à rendre le duel plus meurtrier encore : il exigea l’échange de trois balles. Kiriloff eut beau protester, il se heurta à une résolution inébranlable, et tout ce qu’il put obtenir fut qu’en aucun cas le chiffre de trois balles ne serait dépassé. La rencontre ainsi réglée eut lieu à deux heures de l’après-midi dans le petit bois de Brykovo situé entre le domaine de Skvorechniki et la fabrique des Chpigouline. La pluie avait complètement cessé, mais le temps était humide, et il faisait beaucoup de vent. Dans le ciel froid flottaient de petits nuages gris ; la cime des arbres s’agitait bruyamment ; la journée avait quelque chose de lugubre.

Gaganoff et Maurice Nikolaïévitch arrivèrent sur le terrain dans un élégant break attelé de deux chevaux et conduit par Artémii Pétrovitch ; avec eux se trouvait un laquais. Presque au même instant parurent trois cavaliers : c’étaient Nicolas Vsévolodovitch et Kiriloff accompagnés d’un domestique. Kiriloff, qui montait à cheval pour la première fois de sa vie, avait en selle une attitude très crâne ; il tenait