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Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/318

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dans sa main droite sa lourde boîte de pistolets qu’il n’avait pas voulu confier au domestique et dans sa main gauche les rênes de sa monture, mais, par suite de son inexpérience, il les tirait sans cesse ; aussi le cheval secouait la tête et manifestait l’envie de se cabrer, ce qui, du reste, n’effrayait nullement l’ingénieur. Ombrageux et facilement irritable, Gaganoff vit dans l’arrivée des cavaliers une nouvelle insulte pour lui : ses ennemis se croyaient donc bien sûrs du succès puisqu’ils avaient même négligé de se munir d’une voiture pour ramener le blessé, le cas échéant ! Il mit pied à terre, livide de rage, et sentit que ses mains tremblaient, ce dont il fit l’observation à Maurice Nikolaïévitch. Nicolas Vsévolodovitch le salua, il ne lui rendit point son salut et lui tourna le dos. Le sort consulté sur le choix des armes décida en faveur des pistolets de Kiriloff. Après avoir fixé la barrière, les témoins mirent en place les combattants, puis ordonnèrent aux laquais de se porter à trois cents pas plus loin avec le break et les chevaux. Ensuite on chargea les pistolets et on les remit aux adversaires.

Durant tous ces préparatifs, Maurice Nikolaïévitch était sombre et soucieux. Par contre, Kiriloff avait l’air parfaitement calme et indifférent. Il remplissait les obligations de son mandat avec le soin le plus minutieux, mais sans trahir la moindre inquiétude ; la perspective d’un dénouement fatal ne semblait pas l’émouvoir. Nicolas Vsévolodovitch, plus pâle que de coutume, était assez légèrement vêtu : il portait un paletot et un chapeau de castor blanc. Il paraissait très fatigué, fronçait le sourcil de temps à autre, et ne cherchait pas du tout à cacher le sentiment désagréable qu’il éprouvait. Mais de tous le plus remarquable en ce moment était Artémii Pétrovitch, attendu qu’il n’offrait rien de particulier à signaler.