Barbara Pétrovna revint chez elle définitivement enchantée de Julie Mikhaïlovna et — je ne sais pourquoi — très fâchée contre Stépan Trophimovitch.
— Je suis amoureuse d’elle, je ne comprends pas comment j’ai pu me tromper ainsi sur cette femme, dit-elle à son fils et à Pierre Stépanovitch qui vint dans la soirée.
— Il faut pourtant vous réconcilier avec le vieux, conseilla Pierre Stépanovitch, — il est au désespoir. Sa disgrâce est complète. Hier il a rencontré votre voiture, il a salué, et vous vous êtes détournée. Vous savez, nous allons le produire, j’ai certaines vues sur lui, et il peut encore être utile.
— Oh ! Il lira.
— Je ne parle pas seulement de cela. Mais je voulais justement passer chez lui aujourd’hui. Ainsi je lui ferai la commission ?
— Si vous voulez. Je ne sais pas, du reste, comment vous arrangerez cela, dit Barbara Pétrovna avec hésitation. — Je comptais m’expliquer moi-même avec lui, je voulais lui fixer un rendez-vous, ajouta-t-elle, et son visage se renfrogna.
— Ce n’est pas la peine de lui donner un rendez-vous. Je lui dirai la chose tout bonnement.
— Soit, dites-la-lui. Mais ne manquez pas de lui dire aussi que je le verrai certainement un de ces jours.
Pierre Stépanovitch sortit en souriant. Autant que je me souviens, il était alors d’une humeur massacrante, et presque personne n’était à l’abri de ses boutades. Chose étrange, tout le monde les lui pardonnait, bien qu’elles passassent souvent toutes les bornes. L’idée s’était généralement répandue qu’il ne fallait pas le juger comme on aurait jugé un autre. Je noterai que le duel de Nicolas Vsévolodovitch l’avait mis dans une colère extrême. Cet événement fut pour lui une surprise, et il devint vert quand on le lui raconta. C’était peut-être son amour-propre qui souffrait : il n’avait appris l’affaire que le lendemain, alors qu’elle était déjà connue de toute la ville.
— Vous n’aviez pas le droit de vous battre, dit-il tout bas à Stavroguine qu’il