Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/346

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du repos. Tandis qu’elle voulait lui infuser son ambition, il s’amusait à confectionner avec du papier un intérieur de temple protestant : le pasteur était en chaire, les fidèles l’écoutaient les mains jointes, une dame s’essuyait les yeux, un vieillard se mouchait, etc. Julie Mikhaïlovna n’eut pas plutôt appris l’existence de ce joli travail qu’elle s’empressa de le confisquer et de le serrer dans un meuble de son appartement. Pour dédommager Von Lembke, elle lui permit d’écrire un roman, à condition qu’il s’adonnerait en secret à cette occupation littéraire. Dès lors la gouvernante ne compta plus que sur elle- même pour imprimer une direction à la province. Quoique la mesure fît défaut à son imagination échauffée par un célibat trop prolongé, tout alla bien durant les deux ou trois premiers mois, mais, avec l’apparition de Pierre Stépanovitch, les choses changèrent de face.

Le fait est que tout d’abord le jeune Verkhovensky se montra fort irrespectueux à l’égard d’André Antonovitch et prit avec lui les libertés les plus étranges ; Julie Mikhaïlovna, toujours si jalouse du prestige de son mari, ne voulait pas remarquer cela, ou du moins n’y attachait pas d’importance. Elle avait fait du nouveau venu son favori ; il mangeait et buvait dans la maison, on pouvait presque dire qu’il y couchait. André Antonovitch essayait de se défendre, mais sans succès ; c’était en vain que, devant le monde, il appelait Verkhovensky « jeune homme », et lui frappait sur l’épaule d’un air protecteur : Pierre Stépanovitch semblait toujours se moquer de Son Excellence, même quand il affectait de parler sérieusement, et il lui tenait en public les propos les plus extraordinaires. Un jour, Von Lembke, en rentrant chez lui, trouva le jeune homme endormi sur un divan dans son cabinet où il avait pénétré sans se faire annoncer. Pierre Stépanovitch expliqua qu’il était venu voir le gouverneur et que, celui-ci étant absent, il avait « profité de l’occasion pour faire un petit somme ». Von Lembke, blessé, se plaignit de nouveau à sa femme ; celle-ci railla la susceptibilité de