— Dites-moi, lui demanda-t-il, — comment avez-vous pu deviner à l’avance ce que je dirais de votre intelligence et charger Agafia d’une réponse _ad hoc ? _
— Parce que je vous considère, moi aussi, comme un homme intelligent, fit en riant Lipoutine, — je pouvais par conséquent prévoir votre réponse.
— La coïncidence n’en est pas moins remarquable. Mais pourtant permettez : ainsi vous me considériez comme un homme intelligent, et non comme un fou, quand vous avez envoyé Agafia ?
— Comme un homme très intelligent et très sensé ; seulement, j’ai fait semblant de croire que vous n’aviez pas votre bon sens… Vous-même alors vous avez immédiatement pénétré ma pensée et vous m’avez fait remettre par Agafia une patente d’homme d’esprit.
— Eh bien, ici vous vous trompez un peu ; le fait est que… je ne me portais pas bien… balbutia Nicolas Vsévolodovitch en fronçant le sourcil, — bah ! s’écria-t-il, pouvez-vous croire en réalité que, possédant toute ma raison, je sois capable de me jeter sur les gens ? Mais pourquoi donc ferais-je cela ?
Lipoutine ne sut que répondre, mais sa physionomie répondit pour lui. Nicolas pâlit légèrement, du moins l’employé crut le voir pâlir.
— En tout cas, vous avez une tournure d’esprit fort amusante, poursuivit le jeune homme, — mais, quant à la visite d’Agafia, je comprends, naturellement, que c’était un affront que vous me faisiez.
— Aurait-il fallu vous appeler sur le terrain ?
— Hum ! j’ai entendu dire que vous n’êtes pas partisan du duel…
— C’est une traduction du français ! répliqua Lipoutine avec moue désagréable.
— Vous tenez pour la nationalité ?
L’expression de la mauvaise humeur s’accentua sur le visage de Lipoutine.