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Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/49

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chez moi. Je voudrais vous voir soigner un peu plus votre mise, Stépan Trophimovitch ; de jour en jour vous la négligez davantage… Oh ! quel chagrin vous me faites ! Qu’est-ce que vous lisez maintenant ?

— Je… Je…

— Je comprends. Toujours les amis, toujours la boisson, le club, les cartes et la réputation d’athée. Cette réputation ne me plaît pas, Stépan Trophimovitch. Je n’aime pas qu’on vous appelle athée, surtout à présent. Je ne l’aimais pas non plus autrefois, parce que tout cela n’est que du pur bavardage. Il faut bien le dire à la fin.

— Mais, ma chère…

— Écoutez, Stépan Trophimovitch, en matière scientifique, sans doute, je ne suis vis-à-vis de vous qu’une ignorante, mais j’ai beaucoup pensé à vous pendant que je faisais route vers la Russie. Je suis arrivée à une conviction.

— Laquelle ?

— C’est que nous ne sommes pas, à nous deux, plus intelligents que tout le reste du monde, et qu’il y a plus intelligent que nous…

— Votre observation est très juste. Il y a plus intelligent que nous, par conséquent on peut avoir plus raison que nous, par conséquent nous pouvons nous tromper, n’est-ce pas ? Mais, ma bonne amie, mettons que je me trompe, après tout ma liberté de conscience est un droit humain, éternel, supérieur ! J’ai le droit de ne pas être un fanatique et un bigot, si je le veux, et à cause de cela naturellement je serai haï de divers messieurs jusqu’à la consommation des siècles. Et puis, comme on trouve toujours plus de moines que de raisons, et que je suis tout à fait de cet avis…

— Comment ? Qu’est-ce que vous avez dit ?

— J’ai dit : on trouve toujours plus de moines que de raisons, et comme je suis tout à fait de cet…

— Cela n’est certainement pas de vous ; vous avez dû prendre ce mot-là quelque part.

— C’est Pascal qui l’a dit.