Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/48

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que j’aime en elle, c’est qu’elle ne se laisse pas dominer par sa mère, cette créature imbécile. Il a failli y avoir une histoire à propos du cousin.

— Bah ! mais, au fait, entre lui et Élisabeth Nikolaïevna la parenté n’existe pas… Est-ce qu’il a des vues ?

— Voyez-vous, c’est un jeune officier qui parle fort peu, qui est même modeste. Je tiens à être toujours juste. Il me semble que, personnellement, il est opposé à cette intrigue et qu’il ne désire rien ; je ne vois dans cette machination que l’œuvre de la Lembke. Il avait beaucoup de considération pour Nicolas. Vous comprenez, toute l’affaire dépend de Lisa, mais je l’ai laissée dans les meilleurs termes avec Nicolas, et lui-même m’a formellement promis sa visite en novembre. Il n’y a donc en cause ici que la rouerie de la Lembke et l’aveuglement de Prascovie. Cette dernière m’a dit que tous mes soupçons n’étaient que de la fantaisie ; je lui ai répondu en la traitant d’imbécile. Je suis prête à l’affirmer au jugement dernier. Et si Nicolas ne m’avait priée d’attendre encore, je ne serais pas partie sans avoir démasqué cette créature artificieuse. Elle cherchait à s’insinuer, par l’entremise de Nicolas, dans les bonnes grâces du comte K…, elle voulait brouiller le fils avec la mère. Mais Lisa est de notre côté, et je me suis entendue avec Prascovie. Vous savez, Karmazinoff est mon parent ?

— Comment ! il est parent de madame Von Lembke ?

— Oui. Parent éloigné.

— Karmazinoff, le romancier ?

— Eh ! oui, l’écrivain, qu’est-ce qui vous étonne ? Sans doute il se prend pour un grand homme. C’est un être bouffi de vanité ! Elle arrivera avec lui, actuellement ils sont ensemble à l’étranger. Elle a l’intention de fonder quelque chose dans notre ville, d’organiser des réunions littéraires. Il viendra passer un mois chez nous, il veut vendre le dernier bien qu’il possède ici. J’ai failli le rencontrer en Suisse, et je n’y tenais guère. Du reste, j’espère qu’il daignera me reconnaître. Dans le temps il m’écrivait et venait