Aller au contenu

Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/63

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

instruit, mais vous ne comprenez rien à la vie, vous avez besoin qu’on s’occupe continuellement de vous. Si je meurs, que deviendrez-vous ? Elle sera pour vous une excellente niania ; c’est une jeune fille modeste, sensée, d’un caractère ferme ; d’ailleurs, moi-même je serai là, je ne vais pas mourir tout de suite. C’est une femme de foyer, un ange de douceur. J’étais encore en Suisse quand cette heureuse idée m’est venue. Comprenez-vous, quand je vous dis moi-même qu’elle est un ange de douceur ! s’écria la générale dans un brusque mouvement de colère. — Vous vivez dans la saleté, elle fera régner la propreté chez vous, tout sera en ordre, on pourra se mirer dans vos meubles… Eh ! vous vous figurez peut-être qu’en vous offrant un trésor pareil, je dois encore vous supplier à mains jointes de l’accepter ! Mais c’est vous qui devriez tomber à mes genoux !… Oh ! homme vain et pusillanime !

— Mais… je suis déjà un vieillard.

— Vous avez cinquante-trois ans, la belle affaire ! Cinquante ans, ce n’est pas la fin, mais le milieu de la vie. Vous êtes un bel homme, et vous le savez vous-même. Vous savez aussi combien elle vous estime. Que je vienne à mourir, qu’adviendra-t-il d’elle ? Avec vous elle sera tranquille, et ce sera également une sécurité pour moi. Vous avez une signification, un nom, un cœur aimant ; vous toucherez une pension que je me ferai un devoir de vous servir. Peut-être sauverez-vous cette jeune fille ! En tout cas, vous serez pour elle un porte-respect. Vous la formerez à la vie, vous développerez son cœur, vous dirigerez ses pensées. Combien se perdent aujourd’hui par suite d’une mauvaise direction intellectuelle ! Votre ouvrage sera prêt pour ce temps-là, et, du même coup, vous vous rappellerez à l’attention publique.

— Justement, je me dispose à écrire mes Récits de l’histoire d’Espagne, murmura Stépan Trophimovitch sensible à l’adroite flatterie de Barbara Pétrovna.

— Eh bien, vous voyez, cela tombe à merveille.

— Mais… elle ? Vous lui avez parlé ?

— Ne vous inquiétez pas d’elle ; vous n’avez pas à vous