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Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/83

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IV

Pourquoi était-il perdu par le fait de l’arrivée de Lipoutine ? je l’ignorais, et, d’ailleurs, je n’attachais aucune importance à cette parole ; je mettais tout sur le compte des nerfs. Mais sa frayeur ne laissait pas d’être étrange, et je me promis d’observer attentivement ce qui allait suivre.

À première vue, la physionomie de Lipoutine montrait que, cette fois, il avait un droit particulier d’entrer, en dépit de toutes les consignes. Il était accompagné d’un monsieur inconnu de nous, et sans doute étranger à notre ville. En réponse au regard hébété de Stépan Trophimovitch que la stupeur avait cloué sur place, il s’écria aussitôt d’une voix retentissante :

— Je vous amène un visiteur, et pas le premier venu ! Je me permets de troubler votre solitude. M. Kiriloff, ingénieur et architecte très remarquable. Mais le principal, c’est qu’il connaît votre fils, le très estimé Pierre Stépanovitch ; il le connaît tout particulièrement, et il a été chargé par lui d’une commission pour vous. Il vient seulement d’arriver.

— La commission, c’est vous qui l’avez inventée, observa d’un ton roide le visiteur, — je ne suis chargé d’aucune commission, mais je connais en effet Verkhovensky. Je l’ai laissé, il y a dix jours, dans le gouvernement de Kh…

Stépan Trophimovitch lui tendit machinalement la main et l’invita du geste à s’asseoir ; puis il me regarda, regarda Lipoutine, et, comme rappelé soudain au sentiment de la réalité, il se hâta de s’asseoir lui-même ; mais, sans le remarquer, il tenait toujours à la main sa canne et son chapeau.

— Bah ! mais vous vous disposiez à sortir ! On m’avait