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Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/85

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— Vous connaissez aussi Nicolas Vsévolodovitch ? demanda Stépan Trophimovitch.

— Oui.

— Je… il y a un temps infini que je n’ai vu Pétroucha, et… je me sens si peu en droit de m’appeler son père… c’est le mot ; je… comment donc l’avez-vous laissé ?

— Mais je l’ai laissé comme à l’ordinaire… il viendra lui-même, répondit M. Kiriloff qui semblait pressé de couper court à ces questions. Décidément il était de mauvaise humeur.

— Il viendra ! Enfin je… voyez-vous, il y a trop longtemps que je n’ai vu Pétroucha ! reprit Stépan Trophimovitch empêtré dans cette phrase ; — maintenant j’attends mon pauvre garçon envers qui… oh ! envers qui je suis si coupable ! Je veux dire que, dans le temps, quand je l’ai quitté à Pétersbourg, je le considérais comme un zéro. Vous savez, un garçon nerveux, très sensible et… poltron. Au moment de se coucher, il se prosternait jusqu’à terre devant l’icône, et faisait le signe de la croix sur son oreiller pour ne pas mourir dans la nuit… je m’en souviens. Enfin, aucun sentiment du beau, rien d’élevé, par le moindre germe d’une idée future… c’était comme un petit idiot. Du reste, moi-même je dois avoir l’air d’un ahuri, excusez-moi, je… vous m’avez trouvé…

— Vous parlez sérieusement quand vous dites qu’il faisait le signe de la croix sur son oreiller ? demanda brusquement l’ingénieur que ce détail paraissait intéresser.

— Oui, il faisait le signe de la croix…

— Cela m’étonne de sa part ; continuez.

Stépan Trophimovitch interrogea des yeux Lipoutine.

— Je vous suis bien reconnaissant de votre visite, mais, je l’avoue, maintenant je… je ne suis pas en état… Permettez-moi pourtant de vous demander où vous habitez.

— Rue de l’Épiphanie, maison Philippoff.

— Ah ! c’est là où demeure Chatoff, fis-je involontairement.

— Justement, c’est dans la même maison, s’écria Lipoutine, — seulement Chatoff habite en haut, da