Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 2.djvu/17

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— Je sais, je sais ! fit le gouverneur en clignant les yeux, — mais, permettez, de quoi donc, à proprement parler, est-il accusé, et quel est l’objet de votre démarche ?

— Eh bien, je vous prie de le sauver, comprenez-vous ? Il y a huit ans que je le connais, et j’ai peut-être été son ami, répondit avec véhémence Pierre Stépanovitch. — Mais je n’ai pas à vous rendre compte de ma vie passée, poursuivit-il en agitant le bras, — tout cela est insignifiant, ils sont au nombre de trois et demi, et en y ajoutant ceux de l’étranger, on n’arriverait pas à la dizaine. L’essentiel, c’est que j’ai mis mon espoir dans votre humanité, dans votre intelligence. Vous comprendrez la chose et vous la présenterez sous son vrai jour, comme le sot rêve d’un insensé… d’un homme égaré par le malheur, notez, par de longs malheurs, et non comme une redoutable conspiration contre la sûreté de l’État !…

Il étouffait presque.

— Hum. Je vois qu’il est coupable des proclamations qui portent une hache en frontispice, observa presque majestueusement André Antonovitch ; — permettez pourtant, s’il est seul, comment a-t-il pu les répandre tant ici que dans les provinces et même dans le gouvernement de Kh… ? Enfin, ce qui est le point le plus important, où se les est-il procurées ?

— Mais je vous dis que, selon toute apparence, ils se réduisent à cinq, mettons dix, est-ce que je sais ?

— Vous ne le savez pas ?

— Comment voulez-vous que je le sache, le diable m’emporte ?

— Cependant vous savez que Chatoff est un des conjurés ?

— Eh ! fit Pierre Stépanovitch avec un geste de la main comme pour détourner le coup droit que lui portait Von Lembke ; — allons, écoutez, je vais vous dire toute la vérité : pour ce qui est des proclamations, je ne sais rien, c’est-à-dire absolument rien, le diable m’emporte, vous comprenez ce qui signifie le mot rien ?… Eh bien, sans doute, il y a ce sous-lieutenant