Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 2.djvu/39

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— C’est un fort brave homme. Eh bien ?

— Oh ! rien ; il parle ici de certaines choses. C’est lui qui a donné un soufflet à Stavroguine ?

— Oui.

— Et Stavroguine, qu’est-ce que vous pensez de lui ?

— Je ne sais pas, c’est un viveur.

Karmazinoff haïssait Nicolas Vsévolodovitch, parce que ce dernier avait pris l’habitude de ne faire aucune attention à lui.

— Si ce qu’on prêche dans les proclamations se réalise un jour chez nous, observa-t-il en riant, — ce viveur sera sans doute le premier pendu à une branche d’arbre.

— Peut-être même le sera-t-il avant, dit brusquement Pierre Stépanovitch.

— C’est ce qu’il faudrait, reprit Karmazinoff, non plus en riant, mais d’un ton très sérieux.

— Vous avez déjà dit cela, et, vous savez, je le lui ai répété.

— Vraiment, vous le lui avez répété ? demanda avec un nouveau rire Karmazinoff.

— Il a dit que si on le pendait à un arbre, vous, ce serait assez de vous fesser, non pas, il est vrai, pour la forme, mais vigoureusement, comme on fesse un moujik.

Pierre Stépanovitch se leva et prit son chapeau. Karmazinoff lui tendit ses deux mains.

— Dites-moi donc, commença-t-il tout à coup d’une voix mielleuse et avec une intonation particulière, tandis qu’il tenait les mains du visiteur dans les siennes, — si tout ce qu’on… projette est destiné à se réaliser, eh bien… quand cela pourra-t-il avoir lieu ?

— Est-ce que je sais ? répondit d’un ton un peu brutal Pierre Stépanovitch.

Tous deux se regardèrent fixement.

— Approximativement ? À peu près ? insista Karmazinoff de plus en plus câlin.

— Vous aurez le temps de vendre votre bien et de filer, grommela le jeune homme avec un accent de