Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 2.djvu/48

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nfié beaucoup de secrets. Vous n’aviez pas le droit de rompre de but en blanc. Et, enfin, vous n’avez jamais manifesté nettement l’intention de vous retirer, de sorte que vous les avez mis dans une fausse position.

— Dès mon arrivée ici j’ai fait connaître mes intentions par une lettre fort claire.

— Non, pas fort claire, contesta froidement Pierre Stépanovitch ; — par exemple, je vous ai envoyé, pour les imprimer ici, la _Personnalité éclairée, _ainsi que deux proclamations. Vous m’avez retourné le tout avec une lettre équivoque, ne précisant rien.

— J’ai carrément refusé d’imprimer.

— Vous avez refusé, mais pas carrément. Vous avez répondu : « Je ne puis pas », sans expliquer pour quel motif. Or « je ne sais pas » n’a jamais voulu dire « je ne veux pas ». On pouvait supposer que vous étiez simplement empêché par des obstacles matériels, et c’est ainsi que votre lettre a été comprise. Ils ont cru que vous n’aviez pas rompu vos liens avec la société, dès lors ils ont pu vous continuer leur confiance et par suite se compromettre. Ici l’on croit que vous vous êtes servi avec intention de termes vagues : vous vouliez, dit-on, tromper vos coassociés, pour les dénoncer quand vous auriez reçu d’eux quelque communication importante. Je vous ai défendu de toutes mes forces, et j’ai montré comme pièce à l’appui de votre innocence les deux lignes de réponse que vous m’avez adressées. Mais j’ai dû moi-même reconnaître, après les avoir relues, que ces deux lignes ne sont pas claires et peuvent induire en erreur.

— Vous aviez conservé si soigneusement cette lettre par devers vous ?

— Qu’est-ce que cela fait que je l’aie conservée ? elle est encore chez moi.

— Peu m’importe ! cria Chatoff avec irritation. — Libre à vos imbéciles de croire que je les ai dénoncés, je m’en moque ! Je voudrais bien voir ce que vous pouvez me faire !