— On vous noterait, et, au premier succès de la révolution, vous seriez pendu.
— Quand vous aurez conquis le pouvoir suprême et que vous serez les maîtres de la Russie ?
— Ne riez pas. Je le répète, j’ai pris votre défense. Quoi qu’il en soit, je vous conseille de venir aujourd’hui à la réunion. À quoi bon de vaines paroles dictées par un faux orgueil ? Ne vaut-il pas mieux se séparer amicalement ? En tout cas, il faut que vous rendiez le matériel typographique, nous aurons aussi à parler de cela.
— J’irai, grommela Chatoff, qui, la tête baissée, semblait absorbé dans ses réflexions. Pierre Stépanovitch le considérait d’un œil malveillant.
— Stavroguine y sera ? demanda tout à coup Chatoff en relevant la tête.
— Il y sera certainement.
— Hé, hé !
Il y eut une minute de silence. Un sourire de colère et de mépris flottait sur les lèvres de Chatoff.
— Et votre misérable _Personnalité éclairée_ dont j’ai refusé l’impression ici, elle est imprimée ?
— Oui.
— On fait croire aux collégiens que Hertzen lui-même a écrit cela sur votre album ?
— Oui, c’est Hertzen lui-même.
Ils se turent encore pendant trois minutes. À la fin, Chatoff quitta son lit.
— Allez-vous-en loin de moi, je ne veux pas me trouver avec vous.
Pierre Stépanovitch se leva aussitôt.
— Je m’en vais, dit-il avec une sorte de gaieté, — un mot seulement : Kiriloff, à ce qu’il paraît, est maintenant tout seul dans le pavillon, sans servante ?
— Il est tout seul. Allez-vous-en, je ne puis rester dans la même chambre que vous.
— « Allons, tu es très bien maintenant ! » pensa joyeu