mais pour toi je suis Louka Kouzmitch , répondit de mauvaise grâce un forçat petit et grêle, au nez pointu.
— Eh bien, Louka Kouzmitch, que le diable t’emporte…
— Non ! je ne suis pas pour toi Louka Kouzmitch, mais un petit oncle (forme de politesse encore plus respectueuse).
— Que le diable t’emporte avec ton petit oncle ! ça ne vaut vraiment pas la peine de t’adresser la parole. Et pourtant je voulais te parler affectueusement. — Camarades, voici comment il s’est fait que je ne suis pas resté longtemps à Moscou ; on m’y donna mes quinze derniers coups de fouet et puis on m’envoya… Et voilà…
— Mais pourquoi t’a-t-on exilé ? fit un forçat qui avait écouté attentivement son récit.
— …Ne demande donc pas des bêtises ! Voilà pourquoi je n’ai pas pu devenir riche à Moscou. Et pourtant comme je désirais être riche ! J’en avais tellement envie, que vous ne pouvez pas vous en faire une idée.
Plusieurs se mirent à rire, Skouratoff était un de ces boute-en-train débonnaires, de ces farceurs qui prenaient à cœur d’égayer leurs sombres camarades, et qui, bien naturellement, ne recevaient pas d’autre payement que des injures. Il appartenait à un type de gens particuliers et remarquables, dont je parlerai peut-être encore.
— Et quel gaillard c’est maintenant, une vraie zibeline ! remarqua Louka Kouzmitch. Rien que ses habits valent plus de cent roubles.
Skouratoff avait la touloupe la plus vieille et la plus usée qu’on pût voir ; elle était rapetassée en différents endroits de morceaux qui pendaient. Il toisa Louka attentivement, des pieds à la tête.
— Mais c’est ma tête, camarades, ma tête qui vaut de l’argent ! répondit-il. Quand j’ai dit adieu à Moscou, j’étais à