Page:Dostoïevski - Souvenirs de la maison des morts.djvu/124

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moitié consolé, parce que ma tête devait faire la route sur mes épaules.

Adieu, Moscou ! merci pour ton bain, ton air libre, pour la belle raclée qu’on m’a donnée ! Quant à ma touloupe, mon cher, tu n’as pas besoin de la regarder.

— Tu voudrais peut-être que je regarde ta tête.

— Si encore elle était à lui ! mais on lui en a fait l’aumône, s’écria Louka Kouzmitch. — On lui en a fait la charité à Tumène, quand son convoi a traversé la ville.

— Skouratoff, tu avais un atelier ?

— Quel atelier pouvait-il avoir ? Il était simple savetier ; il battait le cuir sur la pierre, fit un des forçats tristes.

— C’est vrai, fit Skouratoff, sans remarquer le ton caustique de son interlocuteur, j’ai essayé de raccommoder des bottes, mais je n’ai rapiécé en tout qu’une seule paire.

— Eh bien, quoi, te l’a-t-on achetée ?

— Parbleu ! j’ai trouvé un gaillard qui, bien sûr, n’avait aucune crainte de Dieu, qui n’honorait ni son père ni sa mère : Dieu l’a puni, — il m’a acheté mon ouvrage !

Tous ceux qui entouraient Skouratoff éclatèrent de rire.

— Et puis j’ai travaillé encore une fois à la maison de force, continua Skouratoff avec un sang-froid imperturbable. J’ai remonté l’empeigne des bottes de Stépane Fédorytch Pomortser, le lieutenant.

— Et il a été content ?

— Ma foi, non ! camarades, au contraire. Il m’a tellement injurié, que cela peut me suffire pour toute ma vie ; et puis il m’a encore poussé le derrière avec son genou. Comme il était en colère ! — Ah ! elle m’a trompé, ma coquine de vie, ma vie de forçat !

le mari d’Akoulina est dans la cour,
En attendant un peu.

De nouveau il fredonna et se remit à piétiner le sol en gambadant.