Page:Dostoïevski - Souvenirs de la maison des morts.djvu/142

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comtesse de La Vallière : — Aréfief avait apporté ce livre de chez l’adjudant, — Est-ce la vérité, ou bien une invention ? L’ouvrage est de Dumas.

— Certainement, c’est une histoire inventée.

— Allons ! adieu. Je vous remercie.

Et Pétrof disparut ; en vérité, nous ne parlions presque jamais autrement.

Je me renseignai sur son compte. M— crut devoir me prévenir, quand il eut connaissance de cette liaison. Il me dit que beaucoup de forçats avaient excité son horreur dès son arrivée, mais que pas un, pas même Gazine, n’avait produit sur lui une impression aussi épouvantable que ce Pétrof.

— C’est le plus résolu, le plus redoutable de tous les détenus, me dit M—. Il est capable de tout ; rien ne l’arrête, s’il a un caprice ; il vous assassinera, s’il lui en prend la fantaisie, tout simplement, sans hésiter et sans le moindre repentir. Je crois même qu’il n’est pas dans son bon sens.

Cette déclaration m’intéressa extrêmement, mais M— ne put me dire pourquoi il avait une semblable opinion sur Pétrof. Chose étrange ! pendant plusieurs années, je vis cet homme, je causais avec lui presque tous les jours ; il me fut toujours sincèrement dévoué (bien que je n’en devinasse pas la cause), et pendant tout ce temps, quoiqu’il vécût très-sagement et ne fit rien d’extraordinaire, je me convainquis de plus en plus que M— avait raison, que c’était peut-être l’homme le plus intrépide et le plus difficile à contenir de tout le bagne. Et pourquoi ? je ne saurais l’expliquer.

Ce Pétrof était précisément le forçat qui, lorsqu’on l’avait appelé pour subir sa punition, avait voulu tuer le major ; j’ai dit comment ce dernier, « sauvé par un miracle », était parti une minute avant l’exécution. Une fois, quand il était encore soldat, — avant son arrivée à la maison de force, — son colonel l’avait frappé pendant la manœuvre. On l’avait souvent battu auparavant, je suppose ; mais ce jour-là, il