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Page:Dostoïevski - Souvenirs de la maison des morts.djvu/151

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— Bien sûr chez sa commère.

— Eh bien, ce major ?… fit Kobyline, qu’on avait tout à fait oublié.

Louka n’attendait que cela, cependant il ne voulut pas continuer immédiatement son récit, comme si Kobyline ne valait pas une pareille marque d’attention. Il enfila tranquillement son aiguille, ramena paresseusement ses jambes sous son torse, et dit enfin :

— J’émoustillai si bien mes Toupets, qu’ils réclamèrent le major. Le matin même, j’avais emprunté le coquin (couteau) de mon voisin, et je l’avais caché à tout événement. Le major était furieux comme un enragé. Il arrive. Dites donc, Petits-Russiens, ce n’est pas le moment d’avoir peur. Mais allez donc ! tout leur courage s’était caché au fin fond de la plante de leurs pieds : ils tremblaient. Le major accourt, tout à fait ivre.

— Qu’y a-t-il ? Comment ose-ton… ? Je suis votre tsar, je suis votre Dieu.

Quand il eut dit qu’il était le tsar et le Dieu, je m’approchai de lui, mon couteau dans ma manche.

— Non, que je lui dis, Votre Haute Noblesse, — et je m’approche toujours plus, — cela ne peut pas être, Votre Haute Noblesse, que vous soyez notre tsar et notre Dieu.

— Ainsi c’est toi ! c’est toi ! crie le major, — c’est toi qui es le meneur.

— Non, que je lui dis (et je m’approche toujours), non, Votre Haute Noblesse, comme chacun sait, et comme vous-même le savez, notre Dieu tout-puissant et partout présent est seul dans le ciel. Et nous n’avons qu’un seul tsar, mis au-dessus de nous tous, par Dieu lui-même. Il est monarque, Votre Haute Noblesse. Et vous, Votre Haute Noblesse, vous n’êtes encore que major, vous n’êtes notre chef que par la grâce du Tsar et par vos mérites.

— Comment ? commment ? ? commmment ? ? ? Il ne pouvait même plus parler, il bégayait, tant il était étonné.